L’avenir de l’énergie nucléaire : défis et promesses
Le nucléaire fait son grand retour sur la scène énergétique mondiale. Face à l’urgence climatique et aux enjeux de souveraineté, nous avons réuni trois experts pour décrypter les défis et opportunités de cette filière en pleine renaissance : Stéphane Ougier, Directeur Exécutif d’ALTEN, Emmanuel Besse CEO de Worldgrid et Jean-Pierre Burel, Président du groupe régional Alpes de la Société française d’énergie nucléaire (Sfen). Ils nous apportent leur éclairage et leur analyse.



Pourquoi le nucléaire est-il incontournable aujourd’hui ?
La relance mondiale du nucléaire n’est pas un hasard. Stéphane Ougier identifie quatre piliers qui justifient cette renaissance : « Quatre points font de l’énergie nucléaire un incontournable pour le futur. Le premier point : une énergie décarbonée qui permet de répondre aux enjeux de stabilité climatique. Deuxième élément : un enjeu de souveraineté […] la guerre en Ukraine rappelle qu’il faut rester souverain quant à la production de son énergie. Troisième élément : l’économie, il faut une énergie bas carbone mais compétitive. Et quatrième point : la stabilité. Le nucléaire est une énergie stable en complément des énergies renouvelables qui, par définition, sont intermittentes. »
Cette vision stratégique replace le nucléaire au cœur du mix énergétique français et européen, avec une relance marquée par de nouveaux projets et une ambition de leadership technologique d’ici 2035.
Trois échelles de temps pour l’industrie nucléaire
Jean-Pierre Burel nous rappelle que le secteur fonctionne sur une vision de très long terme : « Nous avons trois échelles de temps à respecter car l’énergie nucléaire doit se faire selon une vision à très long terme. Et quand je dis très long terme, c’est qu’on parle de siècle. »
Court terme : maintien et renouvellement du parc existant
Le programme EPR2 vise à remplacer les réacteurs actuels pour assurer la continuité de la production électrique. Cependant, cette filière accumule de l’uranium appauvri et du plutonium, nécessitant des solutions innovantes.
Moyen terme : les SMR et nouveaux réacteurs
« On a besoin pour le long terme de réacteurs capables de fournir d’autres applications […] des réacteurs de plus faible puissance. D’où les concepts SMR, qui vont permettre d’avoir plusieurs types de réacteurs très spécifiques pour brûler le combustible appauvri. » Ces Small Modular Reactors (SMR) offrent également la possibilité de produire de la chaleur industrielle, avec une installation plus proche des sites de consommation.
Long terme : la fusion nucléaire
Pilotée par le projet ITER, la fusion représente l’avenir lointain de l’énergie nucléaire, promettant une source d’énergie quasi-illimitée.
Les défis majeurs de la filière
Maintenir les compétences face à l’obsolescence
Emmanuel Besse souligne un défi crucial pour le parc existant : « sur le parc existant et la prolongation de sa vie au-delà de 60 ans, voire 80 ans en Amérique du Nord, l’enjeu premier c’est le maintien en conditions opérationnelles de systèmes qui ont fait leur preuve au fil du temps, mais qui reposent sur des technologies devenues obsolètes et rares en termes de compétences. » La transmission des savoir-faire devient un enjeu vital, d’autant que Jean-Pierre Burel rappelle que « c’est plus difficile de recréer de la compétence que de la transmettre. »
Maîtriser les coûts et les délais
L’EPR de Flamanville illustre parfaitement ce défi : près de deux décennies de construction contre moins de 10 ans pour les tranches des années 90. Emmanuel Besse insiste : « c’est le défi premier pour l’EPR : trouver un temps de construction qui soit acceptable économiquement. » La solution ? Une organisation agile, une conception basée sur des modèles numériques (MBSE), et l’automatisation maximale des processus de développement logiciel pour le contrôle-commande.
L’environnement normatif en évolution
Jean-Pierre Burel explique cette complexité croissante : « cette complication liée à la normalisation vient du fait qu’on a subi un certain nombre d’accidents majeurs dont il a fallu prendre en compte le retour d’expérience. Cela amène à prendre des précautions supplémentaires pour faire en sorte que de tels événements ne puissent pas se reproduire. »
Les atouts considérables du nucléaire français
Souveraineté et emplois locaux
Emmanuel Besse met en lumière un bénéfice direct : « les installations sensibles nécessitent une maîtrise par de l’ingénierie et du savoir qui soit national, qui soit local. Les emplois qui sont créés par cette filière bénéficient directement au territoire national et aux ingénieurs qui sont aujourd’hui dans les écoles en France. »
Stabilité et visibilité pour les entreprises
Stéphane Ougier souligne un avantage unique : « une société de service va devoir renouveler 30 à 40% de ses projets tous les ans […] Le grand avantage de la filière nucléaire, c’est le temps long. Ça a des contraintes, mais ça a aussi un énorme avantage : on a une capacité d’amortir nos investissements sur des plans de charge beaucoup plus stables. Dans le monde du service, c’est quelque chose de précieux et d’assez rare. »
Indépendance énergétique à long terme
Jean-Pierre Burel évoque un aspect stratégique crucial : « du point de vue stratégique, ce qui est très important, c’est la souveraineté en approvisionnement en combustible. Il faut des nouveaux types de réacteurs pour brûler l’uranium et le plutonium, ce qui nous donne des réserves d’énergie énormes. De plus, au-delà de l’uranium, il y a le thorium qui constitue également un combustible. »
Vaincre la peur irrationnelle du nucléaire
L’acceptabilité sociale reste un défi majeur. Stéphane Ougier contextualise : « c’est une énergie complètement décarbonée, mais paradoxalement, du fait des déchets, elle n’a jamais eu véritablement ce label. C’est en train de changer. Les gens comprennent que l’énergie nucléaire est une solution. » Jean-Pierre Burel apporte une perspective factuelle : « lorsqu’on regarde les conséquences d’un accident majeur, le pire c’est Tchernobyl. Le bilan est d’environ 5 000 décès. Ce chiffre est à comparer au nombre de décès dus au tabac en France : plus d’1 million de décès dans les mêmes conditions. Il est clair que le risque nucléaire est réel, mais il est beaucoup plus faible que ce que l’on a avec les produits chimiques et le tabac. »
Former les talents de demain
Face au « tsunami de demande » anticipé, Stéphane Ougier explique les initiatives mises en place au sein d’ALTEN : « on a créé une académie nucléaire, des plans de formation validés par nos clients. Comme il n’y a pas beaucoup d’écoles qui forment au nucléaire, ça nous demande d’être à la fois société de service et société de formation. On est prêt à démultiplier ces actions de formation certifiantes ou qualifiantes pour éviter une obsolescence de compétence qui est le pire risque. »
Les mots de la fin : promesses et responsabilités
Jean-Pierre Burel :
« L’énergie nucléaire est une technologie fascinante et terriblement puissante qui mérite d’être maîtrisée. Elle comporte des promesses en ressources et en perspectives pour le long terme tout à fait intéressantes. »
Emmanuel Besse :
« Cette filière présente de nombreux atouts et c’est une filière d’excellence pour la France. Pour nous industriels, c’est une opportunité, une fierté, mais aussi une responsabilité de contribuer à son rayonnement. »
Stéphane Ougier :
« J’espère que c’est une filière qui va maintenant être beaucoup plus génératrice de positivisme. C’est véritablement une fierté française. On a développé une technologie, un savoir-faire qu’on devrait exporter aujourd’hui. J’espère que cette filière pourra de manière plus sereine trouver son apogée. »